L’art du pressurage : précision et respect du fruit


  • Le premier secret d’un bon champagne, c’est le fruit. Chez André Tixier, le raisin, récolté sur les coteaux classés de Chigny-les-Roses, l’est exclusivement à la main. Immédiatement après vendange, les grappes sont amenées sans délai au pressoir. La maison travaille avec des pressoirs pneumatiques modernes, capacité 4000 kg, mais ne sacrifie rien à la rigueur champenoise : les extractions sont fractionnées, avec une attention extrême pour isoler les jus de première presse (la « cuvée ») des tailles.

    Pour chaque « marc » (4000 kg de raisins), seuls 2050 litres de cuvée sont prélevés : ce jus très pur, faible en couleur et en composés tanniques, possède l’acidité et le potentiel aromatique recherchés pour l’élaboration d’une grande base de champagne. Les « tailles » (500 litres suivants) sont vinifiées à part ou vendues, sauf réserve rarissime pour certains assemblages. Cette rigueur à la presse, traditionnelle dans l’élite champenoise, garantit un vin limpide, frais, reflétant d’emblée le style de la maison.

    Source : Comité Champagne / Observations lors des vendanges 2023, André Tixier.


Fermentations : la lente magie de l’éclosion aromatique


  • L’étonnante singularité de la première fermentation saisonnière

    La première fermentation s’opère sous contrôle strict de la température (16-18 °C) afin de préserver la finesse des arômes. Ici, le choix de levures sélectionnées (de souche champenoise, issues de la recherche interprofessionnelle), permet une fermentation régulière et nette, réduisant les risques d’arômes déviants.

    Mais la particularité qui frappe chez André Tixier : certaines cuvées voient une part de fermentation spontanée, à partir des levures indigènes du raisin et de la cave. C’est un pari, maîtrisé cuve par cuve, pour apporter une dimension supplémentaire : complexité, relief, signature de millésime.

    • 90 % des vins subissent une fermentation avec levures sélectionnées.
    • Jusqu’à 10 % peuvent être fermentés en levures indigènes (pour les tirages parcellaires ou millésimés).

    Fermentation malolactique ? La maison choisit de la réaliser partiellement suivant la nature du millésime. En années fraîches, elle est stoppée sur certains lots pour préserver la vivacité, tandis qu’en années plus ensoleillées, elle est menée à son terme pour arrondir l’acidité.

    Source : Guide Hachette 2024, entretien vignerons André Tixier.


Entre inox et chêne : choix d’élevage et recherche d’équilibre


  • Tandis que de nombreuses grandes maisons champenoises ont définitivement tourné la page du fût, André Tixier combine modernité et tradition.

    • La majorité des vins de base (environ 85 %) est élevée en cuves inox thermorégulées : garantie de fraîcheur, d’inoxydabilité, et de précision du fruit.
    • Une part pouvant aller jusqu’à 15 % (essentiellement sur les cuvées parcellaires, voire certains pinots noirs) connaît un élevage en petits fûts de chêne anciens. Ce passage bref, rarement plus de 9 mois, vise moins à boiser qu’à aérer, complexifier et intégrer suavité et volume au vin.
    Ce choix permet d’offrir, dès l’assemblage, une large palette de textures et d’expressions.


La prise de mousse : le temps des bulles, l’empreinte de la maison


  • La seconde fermentation, dite « prise de mousse », se fait en bouteille, comme l’exige l’appellation. André Tixier travaille ici avec des levures Saccharomyces bayanus typiques de la Champagne, soigneusement dosées pour assurer finesse et régularité des bulles.

    Le tirage est conduit au tout début du printemps qui suit la vendange. La liqueur de tirage (mélange de sucre de canne et de levures) est dosée à la portion congrue : 22 à 24g/l de sucre afin d’obtenir à terme la pression idéale de 5 à 6 bars. Aucun adjuvant aromatique n’est ajouté : la bulle se doit d'être l’expression la plus pure du vin de base.


Le vieillissement sur lies : la patience comme secret d’orfèvre


  • C’est une part d’ombre souvent discrète mais décisive. Chez André Tixier, le temps sur lies n’est pas contraint par le minimum légal (15 mois pour un brut, 36 mois pour un millésime). Ici, même les cuvées d’entrée de gamme patientent en moyenne deux ans et demi.

    • Pour les assemblages non millésimés : 30 à 36 mois sur lies sont la norme, afin d’offrir une bulle crémante, des notes de mie de pain, une bouche fondue.
    • Pour les cuvées de prestige et millésimées : 48 mois au minimum, parfois jusqu’à 60 mois selon le potentiel aromatique de l’année.

    Cette maturation lente permet l’autolyse progressive des levures, source de l’onctuosité, mais aussi d’arômes délicats de brioche et de noisette qui signent le style maison.


Le dosage : équilibre, discrétion et identité


  • Une fois le dégorgement réalisé, la maison André Tixier accorde un soin particulier à l’élaboration de liqueurs de dosage (traditionnellement appelées « liqueur d’expédition »). Souvent composées du vin de réserve de la maison et de sucre de canne pur, ces liqueurs sont dosées avec une parcimonie remarquable.

    • Pour le Brut Tradition : 7 g/l environ, soit juste au-dessus du seuil extra-brut (souvent plus faible que la moyenne en Champagne, où l’on oscille plutôt entre 8 et 10g/l).
    • Pour l’Extra-Brut : de 3 à 5 g/l, tout en tension.

    Ce dosage limité autorise une expression limpide du raisin et du sol, loin de tout maquillage, et positionne André Tixier un cran à part parmi les artisans du secteur.


Parcellaires et approche parcellaire : l’âme du lieu capturée


  • L’un des traits distinctifs de la maison réside dans son attachement croissant à la vinification parcellaire. Si le gros de la production demeure assemblé pour garantir un style et une régularité, des cuvées spéciales voient le jour chaque année, isolant un clos, une vieille vigne ou une parcelle de pinot noir ou de chardonnay spécifique.

    • Chaque micro-parcelle (souvent moins de 0,3 ha) est vinifiée séparément, permettant de révéler la singularité du terroir : influences de la craie, exposition, âge des ceps.
    • Fermentation sur levures indigènes, pas ou peu de filtration, voire élevage sous-bois pour les plus structurées d’entre elles.

    Ce travail parcellaire permet à la maison d’explorer la palette aromatique de Chigny-les-Roses, en jouant sur la mosaïque des microclimats et la profondeur de chaque cru. C’est ici aussi que s’invitent souvent de micro-doses de SO₂, à l’exact strict nécessaire, pour préserver sans étouffer.


Le choix de pratiques naturelles et la fidélité à l’artisanat


  • André Tixier n’étiquette pas ses champagnes « nature » ni « bio », mais sa philosophie se ressent dans la discrétion des interventions : limitation du soufre (le taux moyen s’établit autour de 50 mg/l en SO₂ total, soit plus bas que la moyenne de l’AOC), faible recours aux agents clarifiants, le collage étant de plus en plus occasionnel et végétal. Aucun additif colorant, aucun arôme exogène, et une pression constante pour revenir à des pratiques les plus pures possible — en témoignent les essais récents sur les fermentations spontanées et l’absence d’enzymage systématique.

    En cave, le bâtonnage n’est réservé qu’aux lots parcellaires élevés en fût, et la filtration reste légère, juste de quoi garantir limpidité sans priver le vin de nuances.


Choix techniques et signature gustative des champagnes André Tixier


  • Les options œnologiques et techniques retenues s’additionnent et se répondent pour dessiner le profil des cuvées maison :

    • L’accent mis sur la récolte manuelle, le tri rigoureux au pressoir et la préservation de la pulpe aromatique.
    • Une politique d’assemblage qui sait donner la part belle au chardonnay (environ 40% des cépages du domaine, à comparer à la tendance régionale, données CIVC 2022).
    • La restriction sur le dosage offre des champagnes droits, cristallins, très digestes.
    • L’élevage sur lies généreusement prolongé apporte une mousse plus crémeuse et persistante qu’ailleurs.
    • Enfin, les essais sur fermentations spontanéess et vinifications parcellaires confèrent à certains lots une surprise rare, un supplément d’âme prêt à évoluer en bouteille.


Ce qui distingue la maison André Tixier dans le paysage champenois


  • Face à des grandes maisons souvent centrées sur la régularité, le style André Tixier s’ancre dans une volonté de lisibilité (par la pureté du fruit et de la bulle) et d’émotion (par le travail sur le temps et les détails). Ici, le choix d’un dosage faible et d’élevages longs s’oppose parfois à la recherche d’un style puissant et rond destiné au plus large public.

    • Pressurage fractionné scrupuleusement, là où d’autres mécanisent ou mélangent davantage.
    • Préférence pour l’inox tout en maintenant la tradition du chêne pour les micro-cuvées.
    • Dosage frugal, typé, remarquable par sa discrétion.
    • Attachement à la triangle “vigueur du fruit – temps des lies – naturel du geste”.

    Le style maison ne vise pas l’ostentation, mais la fidélité au lieu et à ses nuances. Une façon d’offrir, millésime après millésime, la résonance intime de Chigny-les-Roses jusque dans chaque flûte. Les amateurs y trouveront toujours, derrière la mousse légère et les arômes de fruits blancs, le récit silencieux d’une vinification à hauteur d’homme et de paysage — et c’est là tout le sens d’un champagne de terroir, pensé du pressoir jusqu’au verre, sans bruit mais non sans saveur.

    Sources principales : séances de dégustation à la maison André Tixier (été 2023 et printemps 2024), Comité Champagne, Guide Hachette des Vins 2024, données techniques CIVC, échanges directs avec les vignerons.

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